Quel est le scénario macabre de l’affaire Jubillar développé par le procureur de Toulouse ?
Nous avons eu accès au réquisitoire définitif, il ouvre la voie à l’un des procès les plus médiatiques de France.
7 novembre 2023 à 17h25 par Brice Vidal
La procédure pénale aime le temps long. L’affaire Jubillar n’échappe pas à cette règle. Le procureur de la République adjoint de Toulouse, Alix Cabot-Chaumeton, vient de rendre son réquisitoire définitif. Il fait suite à la clôture de l’information judiciaire ouverte le 23 décembre 2020 et instruite par les juges d’instruction en charge du dossier Audrey Assemat et Coralyne Chartier. Les magistrates entendent renvoyer Cédric Jubillar devant une cour d’assises, a minima, pour meurtre par conjoint. Delphine Jubillar a disparu dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 à Cagnac-les-Mines (81), son corps n’a jamais été retrouvé. Son mari Cédric Jubillar, mis en examen et incarcéré depuis le 18 juin 2021, clame son innocence. Concrètement, le procureur qui représente l’accusation déroule dans ce document implacable les éléments qui l’amènent à penser que Cédric Jubillar doit comparaitre pour meurtre.
Toutes les autres hypothèses purgées
Sans surprise donc, le parquet toulousain requiert le renvoi du mis en examen devant la cour d’assises du Tarn. Mais il y aura d’autres étapes avant le procès . Nous avons eu accès à ce document fondamental de la procédure criminelle. Le procureur rappelle que toutes les hypothèses s’agissant de la disparition de Delphine « ont été examinées », les investigations ayant permis d’écarter « avec certitude » « les pistes du départ volontaire, du suicide, de l’accident et de l’enlèvement par un tiers. »
Pas de sang, et alors ?
Delphine a laissé toutes ses affaires, aimait ses enfants et avait des projets pour refaire sa vie. Tous les éléments vont dans le sens de la culpabilité du mari selon le parquet. L’absence de sang au domicile ? « Une mort violente n’est pas nécessairement accompagnée de sang » rappelle le procureur qui évoque une strangulation. Par ailleurs, le plaquiste n’acceptait pas la séparation et pistait son épouse ; « il a exercé sur elle des surveillances pendant plusieurs mois » et « avait découvert l’existence d’une relation extra-conjugale », il a confié à ses proches avoir « vrillé » en surprenant Delphine correspondant avec son amant.
Les lunettes démantibulées et le témoignage du fils
Le soir de la disparition Cédric Jubillar éteint son téléphone (22H08) « de manière inhabituelle », « il ne visionne pas de film pornographique, alors qu’il le faisait habituellement et qu’il le fait le soir suivant » explique la parquetière. Delphine est en pyjama, regarde la télévision avec son fils et porte ses lunettes. Une dispute éclate, « Louis Jubillar l’affirme » et « les déclarations de l’enfant sont circonstanciées par les précisions sur la présence du sapin de Noël ». Une réalité « corroborée par les cris de femmes apeurées » entendus par deux voisines. Les lunettes de la victime ont été retrouvées « cassées par un coup volontaire ».
Le véhicule qui aurait pu servir à transporter le corps « était stationné dans le sens de la descente le matin du 16 décembre » alors que « Delphine stationnait invariablement dans le sens de la montée » ont répété les voisins.
Cédric Jubillar a beaucoup menti
Quant à Cédric Jubillar, « il a adopté un comportement suspect » : « il signale la disparition de son épouse seulement 17 minutes après avoir rallumé son téléphone » ; « laps de temps extrêmement court pour effectuer des recherches, à rapprocher du faible nombre de pas comptabilisés par son podomètre, alors qu’il est établi qu’il avait l’appareil en sa possession et qu’il l’utilisait. » Ce funeste jour de décembre, Cédric Jubillar allume son téléphone à 3h53, se connecte notamment à l’application de rencontres Badoo, sur le Bon Coin ou sur les jeux Belote et Game Of Thrones.
Dès le début de l’enquête « il a rapidement cessé d’appeler son épouse », « l’a dénigrée » y compris auprès des experts psy. « Attitude suspecte » aussi lorsque les gendarmes primo-intervenants arrivent : « Cédric Jubillar est en train de remplir le tambour de la machine à laver alors que le domicile est dans un état de saleté et de désordre extrême ». Pourquoi cette précipitation soudaine alors que Delphine a disparu ? Ses déclarations « ont largement évolué » et « se sont retrouvées à plusieurs reprises en contradiction avec les éléments d’enquête. »
« Seul Cédric Jubillar peut avoir déverrouillé le téléphone de Delphine »
Le téléphone de la victime n’a pas été retrouvé mais « les investigations techniques démontrent que l’appareil est resté dans le périmètre du domicile et qu’il a été déverrouillé par quelqu’un à 6H52 » le 16 décembre et le procureur l’affirme « seul Cédric Jubillar peut avoir déverrouillé le téléphone de Delphine. » Autant d’indices qui amènent le parquet de Toulouse à demander le renvoi de Cédric Jubillar devant la cour d’assises pour meurtre par conjoint. En revanche, il requiert un non-lieu des faits de recel de cadavre. Le "recéleur" ne pouvant être, juridiquement parlant, qu'une tierce personne. Or, aucun complice présumé n'a été identifié dans le temps de l'enquête.