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« On rase les murs, on ne s’expose pas, on évite de dire qu’on est juifs » racontent des étudiants de Toulouse

Pierre, Alexandre et Léo sont trois Français juifs d’une vingtaine d’années, ils racontent leur sentiment d'abandon et la peur des agressions.

Un tag de soutien au Hamas près de la Fac du Mirail à Toulouse
Un tag de soutien au Hamas près de la Fac du Mirail à Toulouse
Crédit : @capture Twitter

12 novembre 2023 à 10h13 par Brice Vidal

Fait-il bon vivre quand on est juif à Toulouse ? La guerre entre Israël et le Hamas a cristallisé les tensions communautaires en France. C’est le retour en force de l’antisémitisme, comme si les Français juifs étaient comptables de la politique israélienne. En écho à la grande marche civique contre l’antisémitisme ce dimanche, le Président Emmanuel Macron vient de publier une lettre ouverte aux Français dénonçant « l’insupportable résurgence de l’antisémitisme. »  

 

Mezouzah et étoiles de David retirées, rabbins insultés

« Pas d’amalgame » entend-on à juste titre en France, lorsqu’un attentat islamiste en plus d’ensanglanter le pays, menace le vivre-ensemble avec la communauté musulmane. Les Juifs, eux, se voient encore trop souvent reprocher les problèmes géopolitiques du Proche-Orient et l’expansion coloniale de l’Etat hébreux ; « que vous soyez un juif de gauche ou un juif proche du Likoud, l’antisémitisme subi est le même » rappelle Léo. Dans la Ville rose, les étudiants sont en première ligne. Pierre*, Alexandre* et Léo sont trois garçons d’une vingtaine d’années. Nés en France, leurs familles - traditionnalistes - n’ont pas d’attache particulière en Israël. « Pour plus de sécurité, on a retiré la mezouzah à l’entrée du domicile », ils ne portent plus leur étoile de David dans la rue.

Pierre a même changé son nom pour commander des « Uber » ; il craint d’être ciblé en raison de son nom à consonnance juive ; « j’ai eu écho de ce qu’il s’est passé dans le 19e arrondissement, des personnes ont commandé de la nourriture casher et ont eu la visite de quinze hommes venus les agresser 25 minutes plus tard. » A Toulouse qui a connu l’horreur des attentats de 2012, les rabbins sont raccompagnés chez eux par les plus jeunes depuis le 7 octobre (date de l’attaque du Hamas) ; « les insultes fusent » raconte Léo ; « ça commence par des "Free Palestine" et puis ça va crescendo, avec l’insulte "sale juif", potentiellement un crachat, on est des cibles lorsque nous ne sommes pas invisibilisés » déplore-t-il. « On rase les murs, on ne s’expose pas, on évite de dire qu’on est juif, sinon on est en danger » confirme Alexandre.

 

Les étudiants juifs persona non grata à la Fac du Mirail ?

A l’Université Toulouse Jean-Jaurès, la tradition universaliste a-t-elle viré à un wokisme obsessionnel pro-minorité ? Pour Léo qui dirige le syndicat étudiant UEJF (Etudiants juifs de France) à Toulouse, la fac du Mirail bastion de l’extrême-gauche propalestinienne « est carrément devenue infréquentable pour les étudiants de confession juive ». « Le 9 octobre 2023, une banderole était sortie "Soutien à la résistance palestinienne" qui était clairement de l’apologie de ces actes, quand vous rentrez dans une salle de cours du Mirail et vous voyez des membres du collectif "Palestine vaincra" qui, eux aussi, ont soutenu les massacres du 7 octobre, on ne peut pas s’y épanouir. » Les Présidents de ces universités « doivent prendre leurs responsabilités. » Il insiste « très peu d'entre nous le signalent aux directions d'universités ou au procureur, car ils savent que les conséquences peuvent être désastreuses et les sanctions n’ont jamais été à la hauteur. » « Un camarade d’amphi a fait le parallèle entre les SS durant la Seconde Guerre Mondiale et Tsahal » se souvient Alexandre.

Suite à ce paragraphe, l'Université Toulouse Jean-Jaurès évoque « un amalgame qui associe toute la communauté de l'université [...] à certaines positions relatives à la situation au Proche-Orient. Or, nul ne peut ainsi réduire à une position aussi univoque une communauté qui compte plus de 2000 membres du personnel et 32 000 étudiants et étudiantes ». Concernant l'université « carrément devenu infréquentable pour les étudiants de confession juive », la structure indique que « depuis toujours et plus particulièrement depuis le 7 octobre, elle veille en continu à ce que les opinions exprimées au sein de l'établissement, à l'oral comme à l'écrit, demeurent respectureuses du cadre de la loi ». L'Université rappelle également « sa condamnation catégorique et son rejet absolu de l'antisémitisme et de toute forme de discrimination. »

 

De l’antisionisme de l’extrême-gauche à l’antisémitisme de la tradition islamique 

La République est-elle défaillante quand de jeunes français juifs ne peuvent pas circuler ou étudier librement ? « L’Etat est à nos côtés » mais « il a aussi failli » ; « ça fait 10 ans que l’antisémitisme est de retour, qu’il y a des rabbins qui se font insulter dans la rue, 10 ans que des enfants se font harceler et doivent quitter les collèges et lycées publics ». A-t-on affaire dans les rues de France à l’antisémitisme traditionnel français, « maurassien », qu’on pensait tombé dans les poubelles de l’Histoire ou cette haine décomplexée est-elle le fait de compatriotes musulmans, souvent jeunes et ignorants ? « On voit les stories Instagram littéralement antisionistes et antisémites ». Léo est convaincu de l'existence « d'une majorité invisible » dans l'Islam, qui ne confond pas soutien à la cause palestinienne et rejet des Juifs. « Peut-être y a-t-il eu un problème lié à l’éducation ?» se questionne-t-il refusant toute généralisation ; il souligne : « les responsables communautaires musulmans doivent continuer d'être présents dans la lutte contre l’antisémitisme », ses deux coreligionnaires ne préfèreront pas s’exprimer sur ce sujet « trop sensible »... A Toulouse, le rassemblement contre l'antisémitisme se tient ce dimanche place du Capitole, à 16 heures.

 

* les prénoms ont été changés à la demande des intéressés.

 

Léo et Alexandre
Léo et Alexandre
Crédit : @100%Radio