Toulouse. La police "cracke" le réseau de cryptophones des voyous : des avocats veulent faire annuler les écoutes
Une instruction peut-elle se baser sur des écoutes massives du réseau de téléphones cryptés Sky ECC, prisé des réseaux criminels toulousains ? Plusieurs avocats entendent faire annuler des preuves dans trois affaires criminelles, dont deux homicides. Explication.
26 janvier 2023 à 16h57 par La Rédaction
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Toulouse rendra sa décision le 23 mars. Plusieurs avocats demandent l’annulation des mises en examen de leurs clients. Ils estiment que les preuves - des enregistrements de conversations sur le réseau Sky ECC - sont “illégales”. A Toulouse comme ailleurs, le réseau crypté réputé inviolable était largement utilisé notamment par les trafiquants de drogue des Izards. Le "craquage" d’un serveur à Roubaix au début de l’année 2021 a permis à JUNALCO, la juridiction française en charge de la lutte contre la criminalité organisée, de récupérer un grand nombre de conversations, transmises ensuite aux services d’enquête. Partout sur le territoire et notamment à Toulouse.
En mars 2022, ces écoutes compromettantes permettent l’interpellation de six personnes dans la Ville rose, dans le cadre de trois informations judiciaires distinctes : deux meurtres, une tentative d’assassinat et un vaste réseau de trafic de drogue, survenus en 2020 dans le quartier des Izards. Sur l'une des écoutes un individu avoue carrément un assassinat. "Une des équipes des Izards utilisait des appareils Sky ICC" donc "ils apparaissent chaque fois qu’il y avait un règlement de comptes, on a les conversations" nous souffle une source policière.
Des centaines de suspects potentiellement relâchés ?
La défense s'organise autour de trois points "essentiels", à commencer par “un problème avec de respect du principe contradictoire”, qui prévoit que les deux parties aient le même accès à un dossier pour être en mesure de se battre équitablement. “Nous n’avons pas accès à toutes les pièces du dossier souche, malgré nos demandes”, expose l’avocate. Enfin, l’épineuse question à trancher concerne “la régularité des procédures pour capter et décrypter les communications qui se trouvaient sur les serveurs de Sky ECC." Pour Maître Nabet-Claverie, avocate de l’un des mis en cause, il s’agit purement d’une surveillance de masse. “On nous explique qu’on peut mettre sur écoute tous les utilisateurs de Sky ECC, de manière indifférenciée, au motif que ce sont tous des délinquants.” Selon elle, cela reste à prouver. “Il y a bien une instruction en cours contre le gérant de Sky ECC, mais pour le moment il est encore présumé innocent.”
“Les enjeux sont trop énormes, c’est ce qui risque de nous poser problème”, regrette-t-elle. Selon l’avocate, l'annulation de la procédure engendrerait “un nombre considérable” de mises en liberté, dans des dossiers de trafics de stupéfiants et d'autres beaucoup plus graves.“Si ces éléments de preuves disparaissent des dossiers, certains n'y survivront pas car ils n’ont rien d’autres comme preuves que ces écoutes-là”, explique-t-elle. Concernant les trois affaires toulousaines, “il faut préciser qu’il y a eu deux vagues d’interpellations". Les personnes qui ont tiré ont déjà été interpellées précédemment et Sky ESS est venu ajouter des éléments de preuve "contre les commanditaires présumés de ces assassinats et trafics. Ces derniers seront libérés d’office si notre requête en nullité est acceptée”, poursuit Sarah Nabet-Claverie. Au vu des conséquences potentielles, hors-normes, la controverse devrait se poursuivre jusqu’en cour de cassation.
Le risque d'écoutes retoquées serait minime
Plusieurs criminels présumés peuvent-ils être libérés de détention provisoire à Toulouse ? Pas forcément. Selon une source judiciaire bien informée, à Toulouse "plusieurs dossiers ont été confirmés par les écoutes Sky ECC, qu’il s’agisse de règlements de comptes par armes à feu, de trafic de stupéfiants ou de blanchiment". Une dizaine en tout. Toujours selon cette même source, "il peut y avoir des décisions surprenantes » mais « on n’a pas de grosses craintes, les recours seront probablement rejetés ou alors ça ne mettra pas en péril les procédures".
Marie-Dominique Lacour avec BV