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Scandale sanitaire des progestatifs : une Toulousaine, atteinte d’une tumeur au cerveau, témoigne

ENQUETE 100% - Deux traitements sont, depuis quelques mois, dans le collimateur des autorités sanitaires qui auraient tardé à lancer l’alerte. Ils seraient encore prescrits.

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29 novembre 2021 à 21h32 par Brice Vidal

 

« Le neuroradiologue m’a appris que j’avais une tumeur de 7 cm dans le cerveau », le ciel est tombé sur la tête d’Emmanuelle Choussy il y a quelques semaines. Elle avait tardé pour passer l’IRM conseillé par sa gynécologue « j’étais sereine, pour moi avoir un méningiome impliquait forcément des symptômes. » Quand la manipulatrice lui annonce que le docteur veut lui parler « j’ai pris un train dans la gueule. » Emmanuelle a pris du Lutényl pendant 18 ans, une pilule contraceptive à base de progestérone. La molécule est un médicament prescrit pour traiter certaines pathologies gynécologiques.

L’opération chirurgicale sera lourde, puis ce sera « entre 3 et 6 mois d’arrêt » explique cette photographe free-lance qui élève seule un enfant « je ne sais même pas si je pourrai encore travailler ». Elle évoque sa peur « de se faire ouvrir le crâne [...] quand on est une femme pour des raisons esthétiques c’est pas anodin ». Dans cette épreuve elle reçoit le soutien « d’une association extraordinaire qui regroupe de nombreuses victimes » : l’AMAVEA présidée par Emmanuelle Mignaton. Ce collectif s’apprête à publier un 2e livret informant les patientes qui vont être opérées, « nos bénévoles répondent aussi aux questions » indique celle qui siège au groupe de travail de l’ANSM « méningiomes et progestatifs » au côté du professeur Sébastien Froelich, neurochirurgien qui a lancé les premières alertes (en 2007!).

« Comment ne pas en vouloir aux labos ? Comment se fait-il que je n’ai pas eu d’alerte de mon médecin généraliste ? Aucun ne m’a prescrit d’IRM quand mon ostéoméningiome était encore de petite taille » s’indigne la photographe qui entend se joindre aux procédures judiciaires à venir. 

 

Les autorités de santé ont-elles tardé à lancer l’alerte ?

 

« Si le travail n’a pas été fait avant, aujourd’hui l’ANSM fait preuve d’honnêteté » dans sa gestion du dossier des progestatifs controversés concède Emmanuelle Mignaton. Elle rappelle l’historique : « les premières alertes ANSM sur Androcur ont été livrées en 2018 après 4 ans d’études ; pour Lutényl et Lutéran les suspicions datent de 2019, mais les alertes avec étude épidémiologique remontent seulement à 2021. » Le 20 avril dernier, l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) associe officiellement la prise de Lutényl et de Lutéran à « un risque accru de méningiomes ». « Nous sommes sur une proportion de cas graves équivalente au tristement célèbre dossier du Médiator » souligne la responsable de l'AMAVEA.

La médecine libérale n’avait-elle pas eu connaissance des dégâts potentiels ? Les gynécologues auraient longtemps prescrit Lutényl et Lutéran à tour de bras, « allant même au-delà des préconisations des autorisations de mises sur le marché (AMM) » explique Emmanuelle Mignaton, « en 2018, un professeur de gynécologie me disait être au courant, mais les cas graves semblaient rares, lui et ses pairs ne voulaient pas provoquer d’affolement » se souvient-elle.

Elle a récemment obtenu que les patientes sous traitement soient prévenues du risque potentiel par un courrier de l’Assurance Maladie. 

 

Des problématiques pourtant connues « depuis une dizaine d’années »

 

Franck Emmanuel Roux, chef de service du pôle neurosciences au CHU de Toulouse, reçoit chaque lundi deux ou trois nouvelles patientes lors de consultations dédiées « ce sont des tumeurs bénignes connues depuis une dizaine d’années et des messages d’alerte du ministère nous parviennent depuis deux ou trois ans ». Il confirme que la découverte de ces méningiomes est souvent très mal vécue par ces femmes « parfois jeunes », « il y a un sentiment de colère et de confiance trahie » sachant qu’« elles ont pris ces traitements pendant des années, tous les jours ».

Le neurochirurgien s’attache alors à « dédramatiser, rassurer » en entamant « un programme de surveillance, qui commence par l’arrêt du traitement et qui va parfois jusqu’à une intervention chirurgicale lourde. » Vu le nombre de victimes, un fin connaisseur du dossier insiste sur une affaire qui peut être « lourde de menaces au plan judiciaire pour les laboratoires. » 

 

Des procédures judiciaires en cours

 

L’avocat Charles Joseph-Oudin traite les procédures individuelles, au civil, visant à permettre l’indemnisation des victimes : « nous n’envisageons pas à ce stade une procédure pénale, ni une action groupée, trop incertaines » explique l’avocat du barreau de Paris qui représente à ce stade environ 300 femmes ayant consommé ces médicaments - une trentaine de procédures sont déjà engagées. Le contentieux est centralisé en région parisienne, à Bobigny « ce tribunal a une expertise puisqu'il traite déjà les procédures pour Androcur ».

 

A-t-on affaire à un nouveau scandale sanitaire ? « Oui » répond sans détour Me Charles Joseph-Oudin, car dans cette affaire « nous constatons que depuis très longtemps les problèmes étaient connus ». Problème : « les seuls à ne pas être informés étaient les patientes et dans une moindre mesure les médecins prescripteurs. »  Quelques initiés étaient donc au courant, mais pas le grand public « il y a une responsabilité partagée entre les industriels et les autorités de santé, au détriment des patients, comme dans les dossiers Médiator et Dépakine que mon cabinet connait bien » explique Charles Joseph-Oudin. La liste des laboratoires qui pourraient être impliqués dans le scandale est relativement longue : « Bayer, Sanofi et les génériqueurs Biogaran, Merck ou Mylan » car il s‘agit de médicaments depuis longtemps sur le marché. Lutényl et Lutéran peuvent à ce jour encore être prescrits.  

« Il y a quelques semaines, j’en ai parlé à ma pharmacienne, elle n’était pas du tout au courant, ce n’est pas possible ! » se désole Emmanuelle Choussy. A partir de janvier, les médecins qui prescrivent ces molécules devront obligatoirement faire signer un document - informant des risques - aux patientes déjà traitées. C’est déjà le cas pour les nouvelles patientes sous Lutényl et Lutéran depuis juillet dernier.

 

Photo d’illustration – cicatrice après une opération d'un méningiome.

REPORTAGE - BV.