"Sans Police Judiciaire, nous n'aurons plus de justice indépendante" avertissent magistrats et avocats toulousains
L'ensemble de la chaîne pénale se joint à la fronde des fonctionnaires de la PJ. Un rassemblement se tenait devant le tribunal judiciaire de Toulouse ce lundi.
17 octobre 2022 à 15h08 par Brice Vidal
Magistrats et avocats au soutien de la PJ à Toulouse. La police judiciaire ne veut pas de la réforme de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Partout en France les rassemblements à l'appel de l'association nationale de la police judiciaire (ANPJ) se multiplient, comme à Toulouse ce lundi devant le palais de justice où une centaine de professionnels de la chaîne pénale manifestaient. Magistrats du parquet de Toulouse ou juges d'instruction, tous étaient au rendez-vous. Du jamais vu. Le député NUPES François Piquemal étaient également présent.
Des spécialistes de la délinquance financière reversés aux vols de cartes bancaires ?
Le gouvernement veut mettre la PJ sous la houlette d’un directeur de la sécurité publique (DDSP). Il gèrerait à l'avenir des moyens au niveau départemental pour ces policiers dont les enquêtes se déroulent partout en France et même à l’étranger. Tous craignent d'être reversés dans un entité qui fera le choix de lutter en priorité contre la délinquance "visible", celle du quotidien, au détriment des enquêtes d'envergure : crime organisé, délinquance financière, réseaux criminels internationaux.
Pour Marie Leclerc, magistrate et déléguée régionale du Syndicat de la Magistrature, ce serait la fin d’un service d’enquête d’élite et sa culture procédurale hors pair ; "ça sonne le glas du bon travail, nous les magistrats savons la différence entre juger des gens avec des investigations qui ont été bien faites et des investigations mal faites. Leur travail actuel sera impossible dans le système qui est envisagé. Quand on est évalué par un système gestionnaire, au nombre de gardes à vue, ça casse les gens et le service".
Le futur DDPN fera-t-il des économies sur le dos de l'investigation ?
Magistrats et policiers ne comprennent pas que le gouvernement veuille "casser un système qui fait ses preuves". "On va perdre en autonomie : comment enquêter de longs mois sur des départements limitrophes à la Haute-Garonne alors que notre directeur n'aura aucune plus-value à nous voir partir sur les départements à côté" se demandait Bruno policier de la Direction territoriale de la police judiciaire de Toulouse membre de l'ANPJ, gilet tactique barré de l'inscription "liquidation judiciaire" ; " on a cette chance de pouvoir constituer des groupes d'enquête et mettre en oeuvre tous les moyens : quand une balise sonne le week-end pour un trafic de stup, on est amené à partir de nuit comme de jour ou le week-end. Les criminels respectent rarement les horaires de bureau" rappelle ce fonctionnaire qui actuellement "fait bien attention d'organiser des rassemblements hors période de service" car "on sait qu'on est surveillé et que la hiérarchie ne nous loupera pas".
La tutelle préfectorale vue d'un mauvais oeil par les magistrats
Aujourd'hui, la PJ est pilotée au niveau zonal (Marseille pour la DTPJ Toulouse). La réforme voulue par le ministre de l'Intérieur prévoit - via le futur Directeur départemental de la police nationale - de faire passer la police judiciaire sous l’autorité du préfet. Pour Christine Khaznadar, déléguée régionale de l’USM (Union syndicale des magistrats), cette réforme signe la fin de l’indépendance des enquêtes car "si on met le préfet en prise directe avec la police judiciaire, il est évident qu'il y aura des façons de ralentir des enquêtes sensibles mettant en cause des personnes connues localement, ce n'est donc pas souhaitable !"
Me Pierre Dunac, bâtonnier de l’ordre des avocats de Toulouse, abondait dans le même sens "lorsque les moyens policiers ont été concentrés entre les mains des préfets, la police n'a pas écrit les heures les plus glorieuses de notre histoire républicaine. On peut craindre que la justice n'ait plus les moyens de mener des enquêtes sensibles comme les affaires politico-financière. Sans police judiciaire nous n'aurons plus de justice indépendante..."