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"On va devoir abandonner les enquêtes les plus sensibles" : la PJ de Toulouse se joint à la mobilisation contre la réforme de la police

Une soixantaine d'enquêteurs se sont rassemblés symboliquement devant le commissariat central à l'appel de l'ANPJ. 

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6 octobre 2022 à 22h20 par Brice Vidal

 

Ce sont les flics qui ont identifié et retrouvé Mohamed Merah, ces même flics qui, à Paris, entraient en colonne dans le Bataclan tenus par les pires terroristes que la France ait connu. Ceux encore qui trainaient devant la justice les responsables présumés de la fusillade à la burqa, quand deux tireurs blessaient une dizaine de personnes à l'arme de guerre pour abattre un trafiquant notoire quartier de la Reynerie. Les gros bras de la BRI, les limiers de la crim', les techniciens de la division économique et financière ou les hommes de l'anti-gang : la BRB. Ces flics forment l'élite de la police française. A Toulouse, ils sont environ 80 estampillés Direction territoriale de la police judiciaire (DTPJ) à travailler les enquêtes les plus sensibles ou les plus secrètes dans les étages du commissariat central. Pour entrer dans le saint des saints, il faut "badger". La PJ c'est une culture, une expertise à tel point qu'ils sont souvent vus par le planton en uniforme comme des "divas". Un monde à part on vous dit.

 

Une mobilisation nationale 

Le passage à la DDPN (comme Direction départementale de la police nationale) pourrait bien mettre fin à ce que certains dans "la maison poulaga" voient comme un privilège. Ils étaient environ 60 "les autres sont dispatchés un peu partout en France pour boucler des enquêtes" à se mobiliser devant le commissariat central de Toulouse ce jeudi. Comme à Bordeaux, Angers, Lille ou Marseille, ils dénoncent la fusion annoncée avec la sécurité publique, la DDSP, commandée par un directeur départemental de la sécurité publique sous l'autorité du préfet. Une mobilisation à l'appel de l'ANPJ, association nationale de la police judiciaire créée fin août pour tenter d'infléchir la décision des autorités.

 

Gilets tactiques en deuil 

Gilet tactique barré d'un trait noir comme ses collègues, Christophe, 30 ans de PJ, s'insurge "notre crainte c'est de disparaître en étant reversé dans une direction départementale de l'investigation" alors qu'actuellement la PJ dépend d'une direction zonale (Marseille s'agissant de la DTPJ Toulouse) ou des offices centraux parisiens ; "on ne pourra plus traiter le haut du spectre de la délinquance, les infractions les plus complexes et les plus dangereuses pour la sécurité de l'Etat et des citoyens" s'alarme-t-il. Car ces spécialistes de l'enquête, plébiscités par les magistrats, s'estiment sacrifiés sur l'autel de la délinquance du quotidien ; "à Toulouse il y a 55 000 procédures en attente, mais 80 bonhommes ne vont rien y changer" ; "en revanche ces hommes ne pourront plus traiter les dossiers de narco-banditisme, les mafias internationales, la corruption ou les atteintes aux marchés publics". Pour ces limiers, au-delà de l'indépendance vis-à-vis du pouvoir politique local, c'est l'expertise de la PJ qui risque d'être perdue à tout jamais. 

 

L'exécutif va-t-il faire machine arrière ? 

Ce jeudi Frédéric Veaux, grand patron de la police et artisan de la réforme a reçu un accueil glacial de Marseille, sorte de "haie du déshonneur" des hommes et femmes dans les couloirs de la DZPJ. La fronde commence-t-elle à porter ses fruits ? "Deux commissions parlementaires ont été créées, le conseil économique et social aussi va examiner la réforme et le ministre a accepté un moratoire et d'écouter des amendements, on espère qu'il va nous entendre" expliquent Christophe et Laurent, "on ne veut pas de réforme ! La PJ est une police qui fonctionne, pourquoi la modifier ? Nous réalisons 40% des saisies d'avoirs criminels" sans compter un taux d'élucidation d'environ 80%.

 

Arella viré en 24 heures et la grogne devint fronde : "du jamais vu dans la police"

Une nouvelle mobilisation devrait avoir lieu à Toulouse le 17 octobre avec le soutien des magistrats ; finalement, dès vendredi un nouveau rassemblement était organisé partout en France, après le limogeage express d'Eric Arella le patron de la PJ de Marseille. Hommes et femmes de la DTPJ de Toulouse se rassemblaient masqués et équipés d'affichettes « Je suis Eric » en hommage à la loyauté du boss marseillais ; "la méthode nous choque, on nous explique qu'on ouvre un cycle de visites dans les DZPJ pour dialoguer [...] au  final au premier virage on débarque le directeur qui ose dire qu'il y a des choses à amender dans cette réforme, qu'elle va dans le mauvais sens, ce que tous les acteurs de la chaîne pénale disent depuis le début de cette réforme"  analysait Laurent de l'ANPJ.

Sous couvert d'anonymat, d'autres policiers étaient plus cinglants lors du rassemblement de vendredi "jamais vu dans la police" ; "c'est un véritable scandale, Veaux se prépare une retraite dorée en étant le fossoyeur de la PJ" et "au-dessus il y a un ministre qui a connu des démêlés judiciaires" pouvait-on entendre, "Arella débarqué c'est un aveu de faiblesse" lâchait un ancien du service. Au vu du nombre de papiers et de reportages consacrés désormais à ce dossier, pas sûr que la réaction épidermique de Frédéric Veaux permette de poser un voile pudique sur la réforme de la PJ...

 

 

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