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Le 8ème RPIMA, sentinelle de Paris

Le régiment castrais commande actuellement le groupement Centre de Sentinelle. Reportage au coeur du régiment.

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20 mars 2019 à 10h31

« Il y a de nombreux touristes ici, des écoliers aussi…on est attentifs aux cris, aux mouvements de foule, on essaye de détecter tout ce qui peut paraître suspect, comme des gens en observation. » Le capitaine Christophe et la patrouille montent et descendent les marches du Sacré Cœur, inlassablement. Ici, un soldat approche d’un fourgon garé à quelques mètres de la basilique. Un coup d’œil, il continue. « A force, on connait un peu le type de véhicule qui circule à cet endroit, on voit très vite s’il y en a un qui n’a rien à faire là. » A Montmartre, le sergent Enzo est chef de groupe. Ce Castrais est réserviste, appelé spécialement pour Sentinelle. « On regarde tout, on change régulièrement nos trajets de patrouille. On connait notre environnent. » A proximité du Sacré Cœur, lieu symbolique par excellence, les militaires disposent d’une « vigie » : un local avec dortoir, spartiate, « prêté par les bonnes sœurs » sourit le capitaine Christophe. Des vigies comme celles-ci, il en existe de nombreuses disséminées dans Paris. Les patrouilles peuvent ainsi rester sur place de jour ou de nuit, sans avoir à regagner le Fort Neuf de Vincennes, le QG de l’opération Sentinelle.

Quelques lits, une machine à café, voici l'une des vigies, dans le secteur du Sacré Coeur.

Quelques lits, une machine à café, voici l'une des vigies, dans le secteur du Sacré Coeur.

 

Vincennes où le colonel Bertrand Debray, le chef de corps du 8ème RPIMA, nous accueille. Le régiment castrais commande jusqu’au mois d’avril le groupement Centre de l’opération. Il comprend la ville de Paris intra-muros. Une zone particulièrement sensible, puisqu’elle réunit, outre la Tour Eiffel et les Champs-Elysées, de nombreuses institutions, lieux de pouvoir ou lieux religieux. La doctrine de Sentinelle ? « Protéger, dissuader et réagir, explique le colonel Debray : protéger la population, afficher notre force, pour montrer à l’ennemi qu’il ne nous impressionne pas, et réagir, c’est le cœur de notre mission. A la fin, nous serons jugés sur notre capacité de réaction en cas d’attaque terroriste. » Plus que les attentats d’ampleur et coordonnés, c’est la menace du loup solitaire, « l’homme seul et surmotivé qui tire dans la foule », qui maintient tous les services de sécurité en alerte. Jour après jour, les hommes du 8 patrouillent avec l’objectif d’éviter, le cas échéant, une tuerie de masse. « Nous avons dû faire évoluer nos savoir-faire », reconnait le colonel Debray. Cela passe par l’adaptation des moyens de communications : l’armée a développé des moyens techniques spécialement pour Sentinelle, comme Auxylium, « une application qui nous permet de cartographier en temps réel nos patrouilles. » Il a été nécessaire de se remettre à niveau sur certains types de combat, comme l’usage de la matraque télescopique. Mais là n’est pas la difficulté de Sentinelle. « Le soldat du 8 est préparé au combat en plaine, dans le désert, en milieu urbain aussi.  Mais ce qui change à Paris, c’est la foule. C’est la grande inconnue, cette immersion dans un flux constant de population. »

Radios militaires, radios pour communiquer avec la police, système Auxylium...Les moyens de communication sont au coeur du dispositif de chaque patrouille.

Radios militaires, radios pour communiquer avec la police, système Auxylium...Les moyens de communication sont au coeur du dispositif de chaque patrouille.

 

L’enjeu tactique, explique le colonel, c’est d’être capable de coordonner l’intervention des militaires avec celles des autres forces parisiennes : police ou sapeurs-pompiers de Paris par exemple. Pour assurer cette partie invisible de Sentinelle, de gros moyens sont déployés au Centre Opérationnel. Au cœur du Fort Neuf, une pièce regorge de cartes, d’ordinateurs et de téléphones. C’est le centre névralgique. Tous les ordres partent d’ici, les renseignements du terrain remontent par-là, le lien est constant avec les pompiers et les forces amies. Ce matin, sur un grand écran, s’affiche en temps réel la localisation des dizaines de patrouille qui parcourent les rues de Paris. La capitale est divisée en 5 secteurs et chaque jour, les hommes du 8 parcourent plus de 20 km à pieds. Sur leur dos, jusqu’à 25 kilos de matériel. « Chaque soldat dispose de vêtements de protection, des rations, du gilet pare-balle, du casque félin, de la matraque, de la bombe lacrymogène, et des moyens de communication. Sans oublier le matériel de premier soin, et l’armement : fusil d’assaut et arme courte » explique le lieutenant Thibault, qui commande la 1ère section de la 1ère compagnie. Pour lui, Sentinelle, c’est à la fois « une vigilance de tous les instants, une attention redoublée, et prendre en compte le milieu où on évolue. On ne patrouille pas de la même façon dans une rue étroite et dans une gare un jour de départ en vacances. » Usante, sur le long terme, les patrouilles ? « Tout est fait pour éviter l’usure, par des changements de secteurs, de trajets. Le plus grand danger, c’est la routine. »

De chaque côté de cette avenue du 11ème arrondissement, les hommes du 8 patrouillent.

De chaque côté de cette avenue du 11ème arrondissement, les hommes du 8 patrouillent.

 

Sans aller jusqu’à la routine, il y a indubitablement une habitude qui s’est installée du côté de la population. Si du côté du Sacré Cœur quelques touristes prennent en photo les soldats, sur le marché très parisien d’Oberkampf, il n’y a pas une tête qui se tourne. Quelques sourires, quelques salutations, mais pas de surprise. « Les gens sont plutôt rassuré de nous voir, accueillants aussi. Avant tout, on s’engage pour défendre le pays et les français. Et ça c’est une belle façon de le faire » raconte le sergent Eric, qui mène la patrouille dans le 11ème arrondissement. La patrouille s’arrête quelques instants à un croisement. Le 1ère classe Alexandre se retourne et assure l’arrière du dispositif : « si jamais quelqu’un a de mauvaises intentions, on doit être en mesure de le voir. » Les patrouilles dans Paris, le ressenti des habitants ? « On croise toutes sortes de personnes, certaines nous font des sourires, nous disent leur reconnaissance. On voit aussi des gens inquiets ou mécontents… »

Depuis ses débuts en 2015, Sentinelle a beaucoup évolué. L’opération s’est affinée, et ses acteurs ont gagné en efficacité et en précision. Au prix d’un investissement colossal pour les hommes, notamment ceux du 8. « Nous sommes comme les sentinelles du moyen-âge, conclut le colonel Debray, qui regardent au loin, qui attendent en surveillant. C’est parfois lassant, car l’attaque souvent n’arrive pas. Mais nous devons être là, toujours. »

Une nouvelle journée de patrouille s’achève. Demain, il faudra recommencer. Jour après jour. Le 8ème RPIMA veille sur Paris.

Cyrille Masson

Chef de corps du régiment castrais, le colonel Bertrand Debray a répondu à nos questions.

 

Qu’est-ce que l’opération Sentinelle précisément ?

Il s’agit d'une opération militaire face à un ennemi, le terroriste. C’est aujourd’hui l’une des missions principales de l’armée de Terre. C’est une suite du plan Vigipirate, lancé en 1995 après les attentats du métro St Michel. Au début, en 2015, Sentinelle a déployé jusqu’à 10 000 hommes en France, dont 6 000 à Paris.

Le 8ème RPIMA commande donc l’opération actuellement ?

Sentinelle s’articule, en île de France, autour de trois groupements. Le groupement Ouest, le groupement Est et le groupement Centre. C’est ce dernier que nous commandons. Il comprend 5 secteurs, à Paris même, à l’intérieur du périphérique. On y trouve de nombreux sites sensibles, lieux touristiques, lieux de pouvoir ou religieux. 5 compagnies sont mobilisées actuellement sur notre zone : 3 compagnies du 8ème RPIMA, une compagnie du 1er RCP de Pamiers et une compagnie de Calvi.

Quels sont les enjeux de cette opération ?

Protéger, dissuader et réagir. C’est tout l’enjeu tactique de Sentinelle. Nous avons mis en place les capacités de riposte. C’est une opération exigeante, d’autant plus que nous intervenons dans un cadre juridique très strict. Les soldats n’ont pas les pleins pouvoirs ! Il est donc essentiel de se coordonner avec les services de police et de secours. Nous devons aussi nous adapter en permanence à la vie parisienne : les vacances, les grands évènements notamment.

 

 

Sentinelle en chiffres

: c’est le nombre de secteurs que comprend le groupement Centre. On y trouve le Louvre, la Tour Eiffel, le Sacré Cœur ou encore le châtelet.

15 : en minutes, c’est le temps maximum qu’il faut à la Force de Réaction Rapide pour se projeter à n’importe quel endroit de Paris.

20 : comme le nombre de kilomètres parcouru chaque jour par les patrouilles.

25 : c’est le poids de l’équipement transporté chaque jour par les militaires.

 

Le reportage sonore de 100% :