DOSSIER 100%. Manifestation anti-A69 : le Black bloc va-t-il déferler sur le sud Tarn samedi ?
La tension est à son comble à la veille du rassemblement des opposants, Paris suit attentivement la situation. Doit-on craindre des débordements du Black bloc ? Qui sont ces activistes anti-système, leurs modes d’action, leurs réseaux ? Combien seront-ils ? Décryptage.
17 octobre 2023 à 18h07 par Brice Vidal et Axel Mahrouga
Bien que sous-estimée, la première manifestation du 22 avril 2023 avait été bon enfant. Le rassemblement, prévu ce week-end, baptisé « Ramdam sur le Macadam » inquiète en haut-lieu. Selon nos informations, Paris suit attentivement le dossier : ministères et Direction générale de la gendarmerie sont sur les dents, avec localement les préfets du Tarn et de Haute-Garonne qui se savent sous le feu des projecteurs. Pas le droit à l'erreur.
Très haute sensibilité
Chacun se souvient de Sivens, où la mort tragique de Rémi Fraisse a provoqué l’abandon du projet. Le ministre des Transports Clément Beaune a rappelé lundi que l'A69 se ferait ; le gouvernement poussé par les élus du sud-Tarn n’entend pas lâcher. Vendredi 13 octobre, politiques locaux, opposants et représentants des chambres consulaires étaient reçus, par les préfets de Haute-Garonne et du Tarn. Une entrevue, pour apaiser les tensions. Raté.
Alors qu'un recours est toujours examiné par le Tribunal administratif et que bon nombre de voies légales sont épuisées, quelles solutions pour apaiser la colère des opposants ? Lâcher le concessionnaire ? Débarquer Atosca en rase campagne coûterait très cher à l’Etat. Le dossier de concession, s’il oblige le concessionnaire à respecter un cahier des charges strict, induit des indemnités colossales si l’Etat jette l’éponge. On parle de plusieurs centaines de millions d’euros. Récemment, un politique très au fait du dossier nous glissait que l'enveloppe pourrait monter à 800 millions d'euros (!). Bluff ? D'autres sources évoquent plus de 200 millions d'euros, le véritable chiffre ne nous a pas été confirmé. Quelles que soient les pénalités, le Sud-Tarn n’aurait toujours pas de route sécure pour rejoindre la capitale régionale. Impensable.
Les opposants affirment n’avoir plus rien à perdre
Thomas Brail, élagueur devenu écureuil en chef grimpant aux arbres pour empêcher le défrichage, a prévenu : « Ce qui va se passer ce week-end, nous, on n'en est plus responsable» ; « je pense que la colère est en train de monter» analyse le plus médiatique des opposants. Les "anti" haussent le ton et ne répondent plus de rien. Ce lundi, l'utilisation d'un couteau contre un gendarme et ce militaire pointant son arme vers les arbres ont circulé sur X. Après l'opération, la préfecture évoquait des « menaces avec arme blanche et mise en danger de gendarmes ». Le grimpeur aurait coupé une corde. Celle du gendarme ou une autre, pour éviter d'être suivi ? Les auditions en cours devraient permettre d'en savoir plus.
Tout porte à croire que la manifestation de samedi sera plus violente que la dernière. Les services de l’Etat craignent une arrivée massive de membres du Black bloc. Ils étaient peu nombreux - une cinquantaine - donc inoffensifs la dernière fois, en témoigne la tentative d'intrusion avortée sur le site de Pierre-Fabre à Soual. S’ils venaient à déferler des quatre coins de France et d'Europe, la donne changerait pour la gendarmerie chargée d’assurer le maintien de l’ordre. Environ 800 gendarmes (pour 1500 manifestants annoncés en amont par le renseignement territorial) avaient été déployés au printemps. Mais il y a eu au moins trois fois plus de manifestants.
Les risques si au moins 200 Black blocs s'infiltrent ?
Samedi vu l'ampleur de la mobilisation annoncée, la gendarmerie pourrait bien étirer son contingent (1000 à 1500 personnels) pour juguler le rassemblement qui pourrait recéler « au moins 150 à 200 membres du Black Bloc » explique une source au sein des services de l'Etat. En avril, les gros moyens avaient été sortis : la manifestation était la première à voir revenir les drones au dessus du cortège. Le long de la procession, pas un seul gendarme à l'horizon. La doctrine "gendarmesque" : intervenir rapidement en cas de dérapage et pouvoir monter en effectif, mais voir sans être vu si toute est calme.
S’agissant des débordements, les autorités redoutent en premier lieu des sabotages sur les engins de chantier ou la base de vie du concessionnaire par des petits groupes de Black bloc mobiles. La hantise : voir déferler des hordes de casseurs à Castres, Soual où se trouve l’usine de Pierre Fabre, voire Lavaur. Et ainsi offrir une image désastreuse de vitrines ravagées à la Une des différents journaux. Sans même parler de potentiels blessés dans le cortège familial, politique et pacifique.
Comment empêcher le Black bloc de nuire ?
La dernière grande manifestation écologiste a avoir dégénéré est dans tous les esprits. Le 26 mars dernier, la contestation contre les mégabassines de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) avait tourné à la bataille rangée. Bilan : 200 manifestants blessés dont 40 grièvement et 47 gendarmes atteints.
Les Black blocs fourbissent-ils leurs armes en prévision de samedi ? Ceux que le ministre de l’Intérieur qualifie « d’écoterroristes » sont extrêmement difficiles à gérer. Les spécialistes du renseignement auraient été priés d’ouvrir leurs dossiers s'agissant notamment des activistes d’ultra-gauche fichés S (sûreté de l’Etat). « Il s’agit de cellules autonomes et complètement étanches très difficiles à infiltrer » nous glisse un fin connaisseur de ces mouvements. La seule cyber surveillance n’est même pas efficace car « ce sont des individus instruits, parfois même ingénieurs et leur codage est très difficile à craquer. » Le Black bloc applique des méthodes de dissimulation rôdées, utilisées naguère par des groupes terroristes corses ou basques, avec de fausses informations circularisées pour dénicher d’éventuelles taupes. Un vrai défi pour le renseignement territorial. On est loin du punk à chien alcoolisé hurlant à l’anarchie, et « rien ne filtre cette semaine sur les différentes messageries cryptées » nous dit-on. Comme lors des manifestations : ils avancent masqués.