Arroser les terres agricoles avec des eaux usées, c’est désormais possible dans les Pyrénées-Orientales
C’est une première dans le département. La station d’épuration de Saint-Cyprien peut maintenant réutiliser ses eaux usées pour irriguer les terres agricoles, affaiblies par la sécheresse inédite et le manque de pluie considérable sur le territoire. Une solution qui fait cependant face à quelques freins.
23 mai 2023 à 18h38 par Louella Boulland
Réutiliser les eaux usées des stations d’épuration : c’est l’ambition du préfet des Pyrénées-Orientales, Rodrigue Furcy, qui s’est rendu ce mardi 23 mai à la station d’épuration de Saint-Cyprien, au sud Perpignan, pour assister à une première journée d’expérimentation. Quelques jours plus tôt, il a en effet signé un arrêté préfectoral autorisant la réutilisation de ces eaux usées, débloquant ainsi les difficultés administratives auxquelles se confrontait la station.
« L’équipement de notre station est conçu pour réutiliser et exploiter cette eau. Ça fait 20 ans qu’on attend ça ! », confie Jérôme Tixador, le directeur général des services de la communauté de communes Sud Roussillon, au micro de 100 %. Et oui ! La station d’épuration de Saint-Cyprien n’a pas été choisie au hasard pour ce premier essai. Elle respecte les critères essentiels et nécessaires au bon fonctionnement du procédé. D’abord, elle est située près du littoral. Ainsi, les quelques 4 000 m³ d’eaux usées étaient rejetés quotidiennement dans le port de la ville, contrairement aux stations d’épuration classiques où l’eau est rejetée dans les rivières, participant au bon fonctionnement des cours d’eau. Mais avant d’être rejetée, cette eau est doublement traitée afin d’obtenir un certain niveau de qualité.
Système de traitement
« Cette eau a une qualité supérieure à celle des autres stations », argumente Jérôme Tixador. Mais comment est-ce possible ? Et bien, les eaux usées brutes sont d’abord filtrées comme partout ailleurs. Ce qui fait la différence, c’est qu’ici, elles sont passées au crible par une technique de rayons ultraviolets, avant d’être soigneusement purifiées par un filtre à sable. Alors, même si cette eau n’est pas potable, elle n’en reste pas moins qualitative. Elle a d’ailleurs été classée A, soit le meilleur niveau !
« Nous rejetons 2 milliards de litres annuellement, directement dans le port de Saint-Cyprien », livre également Jérôme Tixador. Ce sont donc potentiellement 2 millions de m³ d’eau disponibles pour les agriculteurs. Une nouvelle ressource d’eau considérable, encore inexploitée. À titre comparatif, un hectare de pêchers aurait besoin de 5 000 m³ d’eau par saison. Mais alors, pourquoi ne pas y avoir pensé avant ?
Freins administratifs et économiques
Une expérimentation similaire a été organisée plus tôt dans l’année à Claira, toujours dans les Pyrénées-Orientales. Toute aussi concluante, elle n’est pourtant restée qu’au stade de l’essai. « La réglementation est extrêmement lourde. Ces freins ont été levés parce qu’on est dans une situation de crise extrême, et que l’État a réagi très vite pour accélérer les choses », souffle Fabienne Bonnet, la présidente de la chambre d’Agriculture. C’est donc pour faire face à l’urgence que l’État débloque ce projet. « L’idée est surtout d’expérimenter le projet. Nous voulons amener une nouvelle source d’eau à l’irrigation agricole pour soulager les prélèvements dans les nappes cet été, période de fortes tensions. », poursuit-elle.
L'autre frein est cette fois-ci économique. En ce jour d’expérimentation, le Conseil Départemental des Pyrénées-Orientales a apporté son soutien, et a financé le transport du camion-citerne depuis la station vers Villelongue-del-Monts, vers un canal agricole des Albères. Un coût de transport dispendieux, qui a permis le cheminement de trois rotations de camions, chacun transportant environ 30 m³ d’eau. 950 euros ont été déboursés pour le transport d’environ 90 m³ d’eau. Une dépense onéreuse à laquelle ne s’accumule (pas encore) le prix de l’eau, distribuée gratuitement ce jour-là. Dorénavant, le coût financier du transport sera à la charge des agriculteurs. Cependant, des acteurs privés situés près de la station d’épuration de Saint-Cyprien (comme le golf) ont également accès à la ressource, et certains disposent déjà de camions-citernes. « Pour une exploitation, ce n’est économiquement pas supportable », résume Fabienne Bonnet.
À l’avenir
La réutilisation des eaux usées de la station d’épuration n’est effective que sur l’arboriculture, c’est-à-dire la culture des arbres. Cette eau ne peut pas encore servir le maraîchage, ni l’élevage, car elle est jugée susceptible de contenir des résiduels bactériologiques. « Pour le moment, on reste prudent. On évalue les risques aux côtés de l’Agence Régionale de Santé. Une fois l’expérimentation terminée, peut-être que les choses évolueront encore », conclut Jérôme Tixador. Il se dit optimiste quant à l’avenir de cette technologie, encore inhabituelle en France comparée à d’autres pays comme l’Israël ou les Émirats Arabes Unis.