Merah : Judith arrivée juste après le carnage a vu "ce père gisant sur le sol avec son bébé à côté"
Toulouse et Montauban s’apprêtent à commémorer les attentats de mars 2012. Témoignage.
10 mars 2022 à 18h18 par Brice Vidal
C’était il y a 10 ans à Toulouse. Mohamed Merah commençait son périple criminel. Le petit délinquant radicalisé devenu djihadiste tuait Imad Ibn Ziaten, un soldat, à Toulouse le 11 mars. Il abattait ensuite deux parachutistes à Montauban, avant de s’attaquer à une école : l’établissement d’enseignement juif Ozar Hatorah, situé au cœur du quartier de la Roseraie à Toulouse. Le monstre Merah y tuait trois enfants et un enseignant, parce qu’ils étaient juifs. Ces jours-ci l’école de la rue Jules Dalou, partagée entre résilience et poids du souvenir, va participer aux commémorations. Comme chaque année.
Judith a croisé la tueur au scooter en déposant ses enfants à l'école
Judith la conseillère principale d’éducation travaille toujours au sein de l’établissement toulousain, comme son directeur Yaakov Monsonégo dont la fillette a été assassinée. Cette mère de famille a croisé Merah juste après la fusillade. « J’arrivais en voiture avec mes enfants » en haut de la rue Jules Dalou, le tueur au scooter déboule en trombe, « il va très vite, il slalome, on se met sur le bas-côté ». En arrivant près de l’école, Judith voit les corps à terre, elle est tétanisée « je me rends compte de la scène d’horreur, il y a du sang qui coule, des morceaux de chair éclatée sur le trottoir » et « un père qui gît sur le sol avec son bébé à côté ». La mère de famille ne fait pas encore le lien avec le motard et rentre dans l’établissement où les enfants sont totalement paniqués ; « je crie : où sont les enfants ! J’essaie de mettre à l’abri mes enfants, les élèves et je vois des impacts de balles sur les vitres ». A ce moment-là, elle ne sait pas si des tueurs sont encore dans l’école « on est pris d’un certain sang-froid dans ces moments-là ».
La mise à l'abri des enfants puis la sidération
Les sirènes de police résonnent, son téléphone carillonne, mais elle ne comprend toujours pas « il est 8h du matin, pourquoi m’appelle-t-on ». 10 ans plus tard, Judith revoit certaines images et en oublie d’autres « c’est flou, c’est un traumatisme » s’excuse-t-elle. Traverser la cour est déjà interdit, la police gelant la scène, mais la CPE y va quand même « il fallait que j’aille voir ». Elle découvre le corps sans vie de la petite Myriam Monsonego, elle enlève sa veste et se met à genou pour la couvrir instinctivement, « j’ai compris qu’il n’y avait plus rien à faire, elle était dans une mare de sang. » La trentenaire réalise progressivement l’ampleur de la tragédie. Effroyable. Un tueur a massacré des enfants. Elle appelle un de ses collègues, professeur, pour lui demander de l’aide « il ne pouvait pas accéder à l’école » : le périmètre de sécurité est déjà installé.
La leçon de vie de l'école juive
La mère de famille ne versera pas une larme lors de notre entretien, mais elle se rappelle du moment « où on rentre à la maison », « quand on visionne les images à la télé » et qu’elle « n’arrive pas à croire » qu’elle a vécu ça. La sidération. Ensuite, malgré le traumatisme « on essaie de récupérer » car « il faut avancer malgré tout ». Au-delà de l’aide prodiguée par les cellules psychologiques, « pour parler, extérioriser », elle rend hommage aux élèves « les enfants donnent tellement et vous aident à avancer avec leur énergie ». Le plus dur, encore aujourd’hui, est probablement d’admettre l’impensable « déposer son enfant dans une école de la République, lui faire un bisou, un câlin, mais c’est le dernier… » Malgré tout pour Judith, son école en restant ouverte a probablement gagné son combat face au monstre Merah qui voulait l’abattre, « parce qu’on a choisi la vie ». Ohr Torah qui se voudrait comme les autres sera à jamais différente.
Photo : l'arbre de vie inauguré en 2017 à Ohr Torah, en hommage aux victimes.